Le blanchiment d'argent est une forme de criminalité financière, en expansion, qui consiste à masquer l'origine frauduleuse de sommes d'argent et à transformer des actifs criminels dans le but de les utiliser en toute légalité.
1. Le cadre international de lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT)
Le cadre législatif de la lutte contre le blanchiment est d’abord international :
Conventions des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (Vienne, 20 décembre 1988) et contre la criminalité transnationale organisée (New-York,15 novembre 2000) ;
Conventions du Conseil de l'Europe relatives au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (Strasbourg, 8 novembre 1990 et Varsovie, 16 mai 2005) ;
Directives européennes anti-blanchiment (91/308/CEE, 2001/97/CE, 2005/60/CE, 2015/849/UE) ;
Recommandations du Groupe d'action financière (GAFI) qui édictent les principes à suivre en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme (LCB-FT).
Si les principales dispositions de lutte contre le blanchiment sont communes, leur mise en œuvre dans chaque État peut faire apparaître, en raison des particularités nationales, des différences de règlementation.
Ainsi, par exemple en Suisse, la pénalisation de l’évasion fiscale est récente et celle du blanchiment du produit d’une infraction date seulement de 2016. De même en Angleterre, l’affaire Panama Papers a mis en lumière les relations opaques et les règles parfois non conformes avec les territoires d’outre-mer dépendants de la Couronne (Guernesey, Jersey, Île de Man, Îles Vierges Britanniques notamment).
Afin d’appréhender pénalement l’ensemble du phénomène de blanchiment, les standards européens et internationaux exigent, d’une part, l’incrimination des actes accomplis dans le but de dissimuler, de déguiser ou d’empêcher l’identification de l’origine délictueuse de biens et, d’autre part, des actes d’acquisition, de détention ou d’utilisation de biens délictueux, sans omettre l’incrimination particulière d’auto-blanchiment.
Les autorités françaises ont une pratique bien établie de coopération internationale avec leurs homologues étrangers, notamment en fournissant une entraide judiciaire efficace et de bonne qualité en matière pénale et en recourant largement à la coopération informelle.
2. La cadre français de lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT)
Les menaces générées par les activités de criminalité organisée et financière, les fortes attentes de la société face à la délinquance économique et financière et la nécessité de préserver l’intégrité du système financier français font de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) une des priorités nationales.
Plusieurs réformes structurelles ont eu pour ambition de prévenir les risques de blanchiment de capitaux, d’assécher les sources et les modalités de financement et de réprimer toutes formes de blanchiment. Ces évolutions constantes du cadre législatif et règlementaire témoignent du souci d’adaptation permanent aux nouveaux risques.
L'article 324-1 du Code pénal dispose que :
« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende »
Le délit de blanchiment, qui s'exécute en un trait de temps, est une infraction instantanée, il constitue également, lorsqu'il consiste à faciliter la justification mensongère de l'origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, une infraction occulte par nature en ce qu'il a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte.
En conséquence, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que « dans ces hypothèses, le délai de prescription de l'action publique commence à courir du jour où l'infraction apparaît et peut être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » (Cass. Crim., 11 sept. 2019, n°18-83.484) (https://www.courdecassation.fr/publications/bulletin-des-arrets-de-la-chambre-criminelle/numero-9-septembre-2019/blanchiment).
Les auteurs, personnes physiques, qui ont commis un délit de blanchiment ou tenté de le commettre encourent cinq ans d'emprisonnement et 375.000 euros d'amende. Ces peines peuvent être portées à dix ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende lorsque le blanchiment est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle ou en bande organisée. Les personnes morales encourent la peine d'amende selon les modalités de l'article 131-38 du Code pénal, « le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ».
En outre, les peines d’amende « peuvent être élevées jusqu'à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment » (article 324-3 du Code pénal). Cette disposition a conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à préciser le mode de calcul de l’amende en présence de l’infraction sous-jacente de fraude fiscale : « L'assiette de l'amende proportionnelle prévue à l'article 324-3 du code pénal est calculée en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l'infraction d'origine, sur lequel a porté le blanchiment. Méconnaît ce principe l'arrêt qui, pour condamner le prévenu à une amende d'un million d'euros, retient que les dispositions de l'article 324-3 du code pénal permettent de retenir comme base de calcul le montant global des sommes non déclarées créditant les comptes ouverts à l'étranger, alors que le produit de la fraude fiscale est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés » (Cass. Crim., 11 sept. 2019, n°18-81.040) (https://www.courdecassation.fr/publications/bulletin-des-arrets-de-la-chambre-criminelle/numero-9-septembre-2019/blanchiment).
En cas de poursuite devant le Tribunal, le procureur de la République, représentant les intérêts de la société et appliquant la politique pénale, n'hésite pas à requérir des peines sévères en répression de ce délit à l'encontre des personnes poursuivies.
Ainsi, les poursuites initiées à l’encontre de plusieurs établissements bancaires européens (HSBC, UBS, RIETUMU BANKA, SOCIETE GENERALE) ont conduit le procureur de la République à requérir des peines de plusieurs millions d’euros attestant de l’intensification de la lutte contre le blanchiment (https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/11/09/amendes-des-banques-la-lutte-contre-le-blanchiment-et-l-evasion-fiscale-s-intensifie_5380966_4355770.html).
Il en est de même pour les particuliers, personnes physiques, puisque lors d’un récent procès devant le Tribunal judiciaire de Lorient, le procureur de la République a requis une peine de 13 ans d'emprisonnement à l’encontre d’un homme de 38 ans notamment poursuivi pour blanchiment (https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/morbihan/lorient/lamborghini-montres-de-luxe-le-chinois-un-trafiquant-bling-bling-juge-a-lorient-2622876.html).
La France a obtenu de bons résultats particulièrement dans l'utilisation du renseignement financier, les enquêtes et les poursuites en matière de lutte contre le blanchiment avec une priorité donnée aux poursuites des cas de blanchiment de grande envergure.
Surtout, la France a fait de la confiscation des avoirs criminels une priorité politique, confisquant chaque année des produits, biens ou autres actifs d'une valeur équivalente à 4,7 milliards d'euros.
3. Les obligations de l’avocat dans la lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB-FT)
Les professions du chiffre et du droit recouvrent une grande diversité d’acteurs aux statuts divers dont l’ensemble correspond peu ou prou aux notions anglo-saxonnes de « lawyer », d’« accountant » et d’« auditor » : avocats (66.958 personnes dont 42% appartenant au barreau de Paris), experts-comptables (20.000), commissaires aux comptes (19.000 dont certains sont également des experts-comptables), notaires (13.253), commissaires de justice (3.251), commissaires-priseurs judiciaires (416) et administrateurs judiciaires-mandataires judiciaires (mandataires de justice : 446 au 13 mars 2019).
La mobilisation de la profession d’avocat est croissante, notamment s’agissant du barreau de Paris, qui concentre plus de 40% des avocats et représente la majorité des flux financiers.
Les professions règlementées du chiffre et du droit interviennent dans des contextes ou des secteurs économiques exposés à la menace de BC-FT. Toutefois, elles contribuent à la prévention des risques et à l’identification des opérations frauduleuses.
Afin de diminuer le flux de capitaux susceptibles d’être blanchis en France ou par l’intermédiaire d’organismes français, le régime français a été durci par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « Sapin II » qui a renforcé les obligations des professionnels soumis à la lutte contre le blanchiment, notamment celles des avocats.
Les professions du chiffre et du droit sont confrontées à la menace de blanchiment sous divers aspects. S’agissant du blanchiment, les avocats peuvent être instrumentalisés aux fins d’élaborer des montages fiscaux ou d’autres montages complexes (empilement de sociétés, par exemple) visant à blanchir des fraudes fiscales ou à opacifier des transactions frauduleuses.
Si les avocats sont tenus à une obligation de vigilance et d’identification du client, ils sont exemptés des obligations déclaratives dans le cadre des procédures juridictionnelles ce qui comprend les informations « reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle procédure » (article L.561-3, II Code monétaire et financier). Cette exemption trouve également à s’appliquer aux consultations juridiques « à moins qu'elles n'aient été fournies à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme » (article L.561-3, II Code monétaire et financier).
Les professions règlementées du chiffre et du droit interviennent dans des contextes ou des secteurs économiques exposés à la menace de blanchiment de capitaux mais, elles contribuent à la prévention des risques et à l’identification des opérations frauduleuses.
Les vulnérabilités liées au maniement de fonds sont atténuées, pour les avocats, par les contrôles mis en place par les Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA). En effet, les avocats sont tenus de déposer les fonds reçus de leurs clients ou d’un tiers sur un compte bancaire spécial géré par les CARPA, qui exercent des contrôles stricts tant à l’entrée qu’à la sortie des flux en vérifiant notamment l’origine des fonds. Les contrôles exercés par la CARPA d’une part, et par la banque à laquelle elle est adossée d’autre part, s’exercent de manière complémentaire.
Les contrôles de la CARPA étant exercés sous l’autorité du bâtonnier, garant du secret professionnel, les avocats ont l’obligation de lui fournir les explications nécessaires à ces contrôles sans pouvoir lui opposer le secret professionnel. Elles opèrent ainsi un véritable filtre efficace et pertinent au regard des risques de blanchiment de capitaux.
Enfin, la collaboration entre les Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et TRACFIN s’est renforcée depuis 2016 par un usage régulier du droit de communication de TRACFIN. TRACFIN dispose d’un droit de communication des informations relatives au montant, à la provenance et à la destination des fonds, effets ou valeurs déposés par un avocat, à l’identité de l’avocat concerné et à l’indication de la nature de l’affaire (article L. 561-25-1 du Code monétaire et financier).
4. La diversité des infractions sous-jacentes et des opérations de blanchiment de capitaux
Les autorités françaises ont constaté le développement de systèmes organisés assurant une prestation de service de blanchiment polyvalente, quelle que soit l’activité délictuelle sous-jacente.
La menace de blanchiment de capitaux est protéiforme et se concentre principalement autour des fraudes, trafic de stupéfiants, escroqueries, proxénétisme ou trafic d’êtres humains :
La fraude douanière recouvre les fraudes à la fiscalité douanière, les fraudes aux contributions indirectes et les fraudes à l’exportation. Elles ont pour but de contourner le paiement des droits de douane, de la TVA ou encore des accises ou de la fiscalité énergétique et environnementale. Ces fraudes reposent sur des manquements aux obligations déclaratives portant sur le transfert physique d’espèces, sur des fausses déclarations ou encore l’émission de fausses factures ;
La fraude fiscale peut d’abord être liée aux fraudes des sociétés commerciales (SAS, SARL, SA), principalement centrées sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur les plus-values. Les secteurs automobile, financier et assurantiel, de la construction et les activités spécialisées, scientifiques et techniques sont particulièrement concernés par la fraude fiscale. La fraude des sociétés commerciales est particulièrement liée à la problématique des prix de transferts (manipulation des prix des transactions intra-groupes pour transférer clandestinement des profits d’un pays à un autre). Par ailleurs, la dématérialisation croissante de certaines activités et le développement de l’économie numérique facilitent les pratiques de fraude fiscale. La fraude fiscale peut également être réalisée par des particuliers – elle porte alors principalement sur l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune immobilière ainsi que sur les droits de succession ou de mutation. La fraude fiscale impliquant la dissimulation d’avoirs à l’étranger concerne plus particulièrement les patrimoines très élevés (bien que le niveau moyen de ce patrimoine tende à diminuer). A cet égard, l’échange croissant d’informations fiscales sur demande de l’administration a fortement accru le risque de sanctions liées à la fraude fiscale internationale et, par conséquent, a contribué à la décourager ;
Les escroqueries, par exemple, les escroqueries aux faux ordres de virement font l’objet de 70 à 120 déclarations de soupçon par an qui proviennent essentiellement du secteur bancaire. Ces escroqueries visent tant les petits établissements que les sociétés multinationales ou les établissements publics. Ces escroqueries sont fréquemment liées à une menace transfrontalière : le produit de l’escroquerie est très souvent envoyé sur des comptes à l’étranger (Europe de l’Est, Portugal, Royaume-Uni, Asie, etc.) et ensuite retransférés en France ou à l’étranger (notamment en Israël). La lutte contre ce type d’escroquerie est facilitée par la bonne coopération entre TRACFIN d’une part, et les services de police judiciaire d’autre part ;
Le produit des trafics de stupéfiants peut être soit rapatrié vers les pays producteurs ou de transit, soit directement réinvesti sur le territoire français. Dans le premier cas, les méthodes traditionnelles de la transmission de fonds, du transport physique d’espèces et des virements internationaux se mêlent à des méthodes plus sophistiquées utilisant des réseaux de collecte d’espèces et de compensation, la conversion d’espèces en or ou des opérations d’import-export de biens écoulés in fine dans les pays producteurs. Le recours à des réseaux de collecteurs a en particulier été mis en évidence par les enquêtes diligentées par l’OCRGDF. Dans le second cas, le produit du trafic peut être blanchi par le biais d’investissements immobiliers, de rachat de sociétés commerciales (SAS, SARL, SA) ou via des jeux d’argent et de hasard, mais il peut également alimenter l’économie souterraine (par exemple le travail dissimulé) ;
Le blanchiment du produit généré par la prostitution et blanchi par les réseaux de proxénètes repose sur diverses filières géographiques, notamment la filière chinoise. Les techniques de blanchiment utilisées varient selon les réseaux criminels. Les profits générés par les réseaux de proxénétisme chinois sont généralement transférés en Chine par le biais de différentes techniques (mécanisme de compensation, prête-noms, etc.). Ces profits peuvent également servir à l’achat de produits de luxe par les Daigou (acheteurs par procuration) puis revendu à des prix bien plus élevés en Chine, bénéficiant au passage du remboursement de la TVA. Enfin, la structure peut simultanément blanchir de la fraude douanière (règlement bancarisé de fournisseurs en Asie de produits importés en France non déclarés en douane) contre compensation en espèces en France, lesdites espèces pouvant le cas échéant provenir de trafic de stupéfiants et alimenter des entrepreneurs se livrant au travail dissimulé, à la fraude fiscale ou à l’abus de biens sociaux.
Le blanchiment assure ainsi la convergence de plusieurs menaces criminelles. Ce constat justifiant la conduite d’enquêtes portant sur des activités de criminalité organisée de blanchiment, indépendamment de la lutte contre les infractions sous-jacentes.
Par exemple, la presse s’est récemment fait l’écho de notes des douanes visant le Centre international de commerce de gros France-Asie (CIFA) dans des circuits de blanchiment (https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/02/07/au-guichet-des-banquiers-du-crime-organise_6160793_3224.html) et de la surveillance par la justice et la police de plusieurs commerçants d’Aubervilliers (https://www.leparisien.fr/faits-divers/blanchiment-dans-la-communaute-chinoise-il-y-a-des-bandits-ici-comme-ailleurs-18-04-2023-3BCUAQ62AFE3HJVTTF7QZQTOCI.php).
Si vous vous retrouvez impliqué dans une des situations décrites ci-dessus en lien avec l’infraction de blanchiment de capitaux, Mathieu Petresco, Avocat en droit pénal, peut vous conseiller, vous assister et défendre vos droits devant le Tribunal judiciaire afin de limiter les conséquences pénales et financières de ces infractions.
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